MLS VS UBERISATION DE L'IMMOBILIER

Les enjeux du MLS expliqués par Jean-Laurent Lepeu, Président du MLS Côte d’Azur.

En 2002, avec Jean-François Pasquini, nous écrivions le livre blanc « Les enjeux du B to B immobilier » dans lequel nous présentions l’impérative nécessité pour les professionnels de l’immobilier de structurer et d’organiser la collaboration entre eux, afin de lutter contre le marché du PAP et l’émergence des portails immobiliers. Quelques mois plus tôt, nous avions crée le MLS Côte d’Azur, avec un noyau d’une petite dizaine d’agents immobiliers pionniers des Alpes-maritimes.

Un peu plus tard, en 2004, faisant référence à la chute de l’Empire Romain, le visionnaire Jean-Michel Billaut mettait en garde les « Empereurs » – les barons de l’ancienne économie, contre le risque de se faire déborder par les « Barbares » – les jeunes loups de la nouvelle économie, anticipant ainsi ce que l’on appellerait plus tard « l’Ubérisation de l’économie ».

Il y a quelques jours, je déjeunais avec un confrère Niçois, professionnel reconnu et aguerrit, (il se reconnaîtra), et nous débattions des vertus et des enjeux du MLS.

Dans la conversation, je lui faisais part de notre attachement, au sein du Conseil d’Administration du MLS, de chercher à toujours placer l’intérêt du client final, acheteur ou vendeur, au centre de nos préoccupations, lorsqu’il s’agissait de construire ou de faire évoluer les règles collaboratives au sein de notre organisation.

Il me fit alors la remarque que ce discours n’était pas forcément partagé de manière unanime chez nos confrères et nos représentants dans la profession.

Les Empereurs que nous sommes n’auraient-ils donc pas appris la leçon ?

N’existerait-il pas un large consensus dans notre industrie autour du fait que le temps du corporatisme est révolu ?

Depuis plus de trois générations nos clients nous lancent cet assourdissant cri d’appel au secours : « Nous avons besoins que vous, professionnels, vous occupiez vraiment et collectivement de nos projets immobiliers, sincèrement, honnêtement, efficacement, sans chercher à nous fourguer n’importe quel bien juste pour toucher une « com », sans nous faire miroiter des prix absurdes de mise en vente sur le marché, juste pour chopper un mandat et ensuite nous laisser crever d’inquiétude mois après mois, afin de mieux nous « cueillir » avec une offre bidon lorsque nous serons bien mûrs… ».

Non, je ne puis me résoudre à ce que nous tous, collectivement, soyons sourds et aveugles à ce point. Que tous, collectivement nous soyons à ce point résignés à nous retrouver ainsi, années après années, en tête des sondages des professions ayant la plus mauvaise réputation auprès de leurs clients, sans que nul n’ait le courage et la lucidité de clamer haut et fort « C’est notre faute, c’est notre seule faute, nul besoin de chercher ailleurs les responsabilités ».

C’est notre faute parce que nous n’avons jamais su agir collectivement autrement que de manière défensive : contre nos clients, contre la loi, contre telle ou telle nouvelle forme de concurrence, contre tel ou tel nouvel acteur entrant sur le marché, sans nous demander vraiment, sincèrement si ces ruptures étaient bonnes ou pas pour nos clients.

C’est notre faute parce que nous ne nous sommes pas suffisamment posé la question : « Comment pouvons-nous, collectivement, œuvrer pour mieux servir nos clients, sans biaiser, sans astuce pour contourner telle obligation, ou sans malice pour travestir telle démarche corporatiste en soi-disant innovation vertueuse, sans chercher à mettre en avant mon groupe, mon enseigne ou ma chapelle au détriment d’une autre ».

Ou est passé l’esprit de 1958, lorsque nos ainés réussirent à surmonter leurs divisions pour créer, en mettant la main au portefeuille, la première Caisse Régionale de Garantie de l’Immobilier (tiens, au fait, c’était dans les Alpes-Maritimes et le Var…), ceci afin de mieux garantir leurs clients des éventuels comportement inappropriés d’eux-mêmes et de leurs confrères ?

Au sein du MLS Côte d’Azur, nous avons chevillée au corps cette certitude que les professionnels de l’intermédiation immobilière que nous sommes ne pourrons pas survivre aux bouleversements passés, présents et futurs de nos écosystèmes, induits notamment par la déferlante high-tech, si nous ne sommes pas capables d’entendre cette impérieuse nécessité de placer l’intérêt de nos clients au centre de toutes nos décisions. Ceci afin de mieux les servir aujourd’hui, de gagner leur confiance demain, et donc être nous-même gagnant après-demain ; même si cela doit se faire aujourd’hui au détriment de ce que nous croyons être la préservation de nos intérêts immédiats.

Parce qu’aujourd’hui, la messe est dite : l’immobilier 2.0, ce n’est pas pour demain, ni après-demain, c’était pour hier… (et ce n’est pas Vincent Lecamus et Florian Mas d’Immobilier 2.0 qui allez me contredire, n’est-ce pas les amis ?).

Le seuil de rupture de l’immobilier 2.0 n’est pas seulement technologique, il est également collaboratif : c’est l’interactivité, le partage, c’est la mise en commun des datas, c’est l’offre globale, et c’est la collaboration de tous les professionnels autour de cette offre globale. Une collaboration structurée et organisée au service des projets immobiliers de nos clients. Mais, encore fois, collaborer non pas pour le bénéfice de telle chapelle ou telle caste contre telle autre, ou même pour le bénéfice d’un consortium de chapelles contre ceux qui n’en sont pas ; pas non plus pour notre usage collectif exclusif et jaloux ; mais pour nos clients, pour tous nos clients. Parce que nos clients ne veulent pas avoir confiance en nous qu’à moitié, ni-même confiance à 80%, ni à 90%. Ils veulent avoir confiance en nous à 100%. Ils ne veulent pas avoir accès à 50% de l’offre, ni à 80%, ils veulent 100% de l’offre.

Nous avons écrit le manifeste du MLS Côte d’Azur dans ce sens, et nous avons signé ce manifeste avec une devise, cette belle citation d’Antoine de Saint-Exupéry : « La pierre n’a point d’espoir d’être autre chose que pierre. Mais de collaborer, elle s’assemble et devient temple ».

La collaboration est la clef de voute. C’est le seul moyen de placer véritablement l’intérêt de nos clients au centre de l’organisation de l’industrie. Et le seul moyen pour réunir 100% de l’offre des professionnels.

Et pour avoir 100% de l’offre, il faut 100% des acteurs. Il en suffit d’un seul, en dehors du système, hors contrôle, pour pervertir tout le système, pour remettre en cause les efforts des 99 autres, et pour déstabiliser tout l’édifice.

Réunir 100% des acteurs n’est pas une utopie. Cela existe, ailleurs, dans d’autres pays, mais aussi ici, en France, dans d’autres métiers.

Mais pour arriver à construire cette collaboration il y a une règle, une seule, fondamentale : la neutralité ; et un principe, un seul, incontournable : la régulation de la démarche au plan local.

La neutralité c’est le contraire du corporatisme : pour réunir 100% des professionnels dans une démarche collaborative crédible vis-à-vis de nos clients, il faut que que le système garantisse à chacun des acteurs les mêmes droits et les mêmes devoirs, indépendamment de leur taille, de leur statut, de la couleur de leur enseigne, de leur appartenance ou non à telle ou telle organisation. Et cela sur l’ensemble de la chaine de valeur de la démarche collaborative : depuis la propriété de la base de données, en passant par les instances qui édictent les règles collaboratives, jusqu’à la gouvernance qui les mets en œuvre et garanti, au plan local, leur bonne application. Le MLS Côte d’Azur n’appartient qu’à ses adhérents, et n’est géré que par ses adhérents, uniquement ses adhérents, représentés selon des principes strictements démocratiques.

Jean Monnet disait de la constitution de l’Europe : « Nous ne coalisons pas les états, nous rassemblons les hommes ».

C’était une vision profondément démocratique, respectueuse de toutes les individualités.

Et bien la collaboration Immobilière, le MLS, c’est la même chose : ce ne peut être la simple coalition de logos, de marques, d’enseignes, ou de « bannières » pour parler comme nos amis Québécois, mais le rassemblement de tous les acteurs de la transaction immobilière, responsables d’agences et collaborateurs, salariés et indépendants, au sein d’une organisation ou chacun est démocratiquement représenté à égalité de droit, mais chacun conservant bien sûr ses spécificités, sa propre stratégie, sa propre bannière, ses belles différences.

Quelle crédibilité vis-à-vis de nos clients sans cette neutralité ? Comment leur promettre haut et fort par devant le grand soir de l’immobilier rassemblé, et par derrière, dans d’opaques officines, manipuler la démarche afin de mettre en avant telle catégorie ou tel groupe au détriment de tel autre, ou pour privilégier tel intérêt individuel au détriment de l’intérêt collectif ?

Cette neutralité, et la transparence qui en est le corollaire, sont inscrits dans le marbre dans les statuts du MLS Côte d’Azur, dans la composition de son Conseil d’Administration, fidèle reflet de la diversité de la profession dans toutes ses composantes. Cette neutralité, cette transparence sont sans cesse réaffirmées dans les actions et décisions de ce Conseil d’Administration, dont les compte-rendus sont rendus publics aux adhérents.

J’insiste à ce sujet sur la nécessité de structurer et d’organiser la démarche au plan local : 80 % des acquisitions d’un logement en résidence principale se fait dans un rayon de 10 km par rapport au lieu de résidence actuel de l’acquéreur. Le marché immobilier est ultra majoritairement un marché local, et c’est donc sur la dimension locale, et uniquement sur la dimension locale, que la collaboration BtoB et sa régulation au travers de ses organes de contrôle peut prendre tout son sens. Nos confrères nord-américains l’on bien compris, et les MLS là-bas sont structurés suivant des échelons géographiques correspondant à des cohérences de marchés locaux.

Neutralité également sur la propriété des données : dans ses contrats avec ses différents prestataires informatiques (application www.mls.fr, intranet adhérents, blog, etc), l’Association a veillé à préserver son statut de producteur de base de données et de propriétaire de ses points d’accès URL. L’Association et ses adhérents sont donc propriétaires de leur data et sont seuls à pouvoir en disposer, pouvant ainsi garantir à leurs clients qu’aucune utilisation abusive ou détournée n’en sera faite. Cette composante du principe de neutralité fait partie du contrat de confiance offert aux clients.

La neutralité comme règle de base donc, mais aussi la régulation comme principe de fonctionnement.

Car sans régulation, pas de collaboration. Ou alors, pendant quelque temps, oui, pour un petit groupe de copains, jusqu’à ce qu’un jour le premier conflit non résolu sur un partage d’honoraires fasse voler en éclat la belle entente de façade.

Il en va ainsi de toutes les organisations humaines : sans règles, c’est la jungle, la loi du plus fort, ou du plus fort en gueule. Le contraire donc de la recherche de l’intérêt du client.

Mais chacune de ces règles visant à réguler, organiser et fluidifier la collaboration au sein du MLS doit être pensée et réfléchie avec une seule préoccupation en tête : « Cette règle va-t-elle dans l’intérêt ou contre l’intérêt du client ? ».

Il y a quelque temps nous échangions avec nos homologues du MLS Italien avec lesquels nous sommes en train de construire un partenariat dans le même esprit que celui avec nos amis MLS Québec, c’est-à-dire pour essayer de déterminer des standards communs de fonctionnement de nos MLS respectifs et de favoriser de nouvelles opportunités de business pour nos adhérents.

Nous échangions donc bien évidemment sur nos règles, nos process, et nos mode de traitement des différents cas de figures de situations potentiellement conflictuelles. Parlant par exemple de la gestion des offres d’achat, nos amis Italiens nous expliquèrent qu’ils avaient déterminé qu’en cas d’offres d’achat quasi simultanées, ils ne présentaient au vendeur que celle arrivée la première. Je leur posais alors la question : « Mais si l’offre arrivée une heure plus tard aux même conditions de prix présente de meilleures garanties de financement, cette règle ne va t’elle pas à l’encontre des intérêts du client vendeur ? ».

Après avoir échangé quelques regards gênés, nos amis convinrent que oui, effectivement, ils avaient choisi la solution la plus facile à gérer pour eux, mais pas forcément celle allant dans le sens de l’intérêt du client, et que oui, effectivement, il leur faudrait sans doute revoir les choses.

Lors d’un récent colloque organisé à la CCI Nice Côte d’Azur sur le thème de l’Ubérisation de l’immobilier par l’Association Femm’Immo Attitude, Dominique Serio, Professeur de droit à l’Edhec et spécialiste des questions juridiques liées à l’Ubérisation, nous expliquait que, face à toute tentative d’Ubérisation d’un secteur marchand par des acteurs non issus de la profession, la construction de règles communes, élaborées par les professionnels eux-mêmes afin de réguler leurs échanges, tout en préservant les intérêts de leurs clients, est un élément déterminant de la capacité de l’industrie à assurer la résistance à cette Ubérisation, et donc à assurer sa propre pérennité.

Cette « couche » réglementaire maîtrisée par les professionnels eux-mêmes, qui vient se sur-ajouter à la loi civile et commerciale, porte un nom, c’est la « soft-law ». Cette soft-law, souple, évolutive, peut, si elle est bien construite, et si en parallèle les professionnels mettent en place les indispensables organes de contrôle et d’arbitrage nécessaires à sa bonne application, devenir un extraordinaire argument de ré-assurance de l’industrie vis-à-vis de ses clients, et donc de création de confiance.

C’est donc là tout le paradoxe, dans notre nouveau monde ouvert, communiquant et technologique, plus une profession agit par réflexe corporatiste, plus elle se met en danger.

Au contraire, plus elle crée elle-même les conditions de sa régulation en plaçant l’intérêt du client au centre de ce système, plus elle se préserve.

Que ceux qui prétendent que cette régulation, ces organes de contrôle, de conciliation, de discipline et d’arbitrage que nous avons mis en place et que nous continuons à développer au sein du MLS Côte d’Azur ne servent à rien, que seul compte l’outil, le fichier, et que la collaboration autour d’un fichier commun immobilier peut s’auto-réguler d’elle-même, sans contrôle, se posent la question : sont-ils prêts à monter dans un bus conduit par un chauffeur sans permis, dans un pays ou il n’y a pas de code de la route, pas de limitation de vitesse, et pas de feux rouges aux croisements…

Le « code de la route » de la collaboration, c’est notre règlement intérieur, notre charte d’engagement, nos bonnes pratiques. Avec la création du collège des Collaborateurs Adhérents qui vient d’être entérinée par l’Assemblée Générale du MLS, nous nous sommes donné aujourd’hui la possibilité de créer un « permis de collaborer », afin de nous assurer que tous les professionnels, agents immobiliers comme leurs collaborateurs, susceptibles d’intervenir dans l’acte de collaboration au sein du fichier commun, soient en règle vis-à-vis de leurs obligations légales, assurance RCP et inscription à la CCI, mais qu’ils disposent également d’un socle minimum de connaissance des règles et des bonnes pratiques du MLS.

Cette ultime pierre ajoutée aux fondations du MLS va nous permettre de franchir une étape décisive dans la mise en œuvre de la régulation et des échanges entre les professionnels, et de garantir, par une meilleure surveillance et une plus grande sécurisation de ces échanges, un meilleur service aux clients vendeurs et acquéreurs.

Ainsi, le MLS Côte d’Azur se distingue par son inventivité et sa détermination à rechercher les meilleures solutions pour gagner la bataille de la reconquête de la confiance des clients, en plaçant toujours leurs intérêts au centre de nos préoccupations. Par cette détermination, le MLS Côte d’Azur se positionne une fois de plus comme l’exemple à suivre dans l’industrie, symbole de la revanche des Empereurs sur les Barbares.

Un temple se construit pierre à pierre. Il peut monter jusqu’au ciel aujourd’hui, mais si ses fondations ne sont pas solides, il s’écroulera demain. Les fondations du MLS, c’est cette conviction qu’il n’y a rien au-dessus de l’intérêt de nos clients. Et ça, c’est du béton.